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Les Demoiselles du bord de Seine Bonjour Monsieur Courbet

Sélection de fusains 1973-2013

du samedi 22 juin au dimanche 30 juin 2013
Samedi, dimanche et lundi de 11h à 22h. Autres jours sur rendez-vous.

Peindre ce qui ne se voit pas.

Mon «Bonjour monsieur Courbet» est né il y a quarante ans. C'est au Musée imaginaire d'André Malraux que je dois cette certitude que le dialogue avec les œuvres passées et actuelles rend possible l'œuvre présente.

En fréquentant depuis longtemps les musées et collections du monde entier, j'ai réalisé que ce qui reste de la relation aux œuvres d'art, dès l'instant que la rencontre s'est produite, est une mémoire très précise de leur esprit, une présence de leur être physique, une sensation de leur matérialité.

Nicolas de Staël parlait, en évoquant la célèbre toile de Courbet, le sommeil, chef d'œuvre du Petit Palais, d'une «peinture d'idiot, qui coule comme un fleuve»…  Qui coule comme un fleuve, quelle juste métaphore… Quant à la peinture d'idiot, j'y vois tout le respect que de Staël avait pour une peinture qui ne se discute pas, qui affirme sans tergiverser, qui sait qu'elle a raison contre tout et qui ne connaît pas le repentir.

Peindre ce qui ne se voit pas. Surtout ne pas le peindre, car on entrerait dans l'hommage, la copie, le pastiche. C'est là que le fusain entre en jeu. Il entre effectivement car il n'était pas prévu.

Il entre parce que sous chaque toile qui démarre, c'est un dessin qui disparaît. Ici, c'est un fusain qui apparaît, de l'autre côté d'une peinture qui s'est à jamais refermée et qui s'appartient.

Peindre sans peindre, dessiner sans autre dessein que de remonter le fleuve. Faire émerger en noir et blanc le pouvoir de couleurs à jamais inaccessibles.

Le fusain, poussière si facile à effacer dès qu'on l'effleure mais si puissante dans ses contrastes, me permet de me tenir à distance de l'œuvre, tout en cultivant une intimité que le regard seul ne permet pas.

Il ouvre une conversation avec l'esprit de l'œuvre, une méditation faite de son silence, une interrogation sur sa genèse. Il permet de rester centré sur ce qui reste de celle-ci quand elle commence à appartenir à celui qui la regarde.

Quel nom donner à cette expérience ? Celui d'art actuel.

Les Demoiselles du Bord de Seine - Gustave Courbet

Bonjour Monsieur Courbet : les demoiselles du bord de Seine — Guy Amoureux (fusain 130x153 cm)

Quant aux demoiselles du bord de Seine de Courbet, autre chef-d'œuvre du Petit Palais…

Ces deux femmes sont-elles belles ? Sans aucun doute. D'aucuns les verront dans leur sensualité joyeuse, d'autres dans leur vulgarité tapageuse.

L'une délicieusement abandonnée à son sourire absent, sous son chapeau qu'elle ne quittera jamais, l'autre à moitié éveillée, à moitié endormie, ouvrant ses yeux mi-clos qui invitent et éloignent, chapeau renversé dans l'angle de la composition, invitant le regard du mouvement de ses bras nus et recouverts.

Le fleuve est là, si étroit et si large, la barque aussi, si évocatrice et si discrète, la nef des feuillages et des troncs, savamment disproportionnée pour couvrir l'espace horizontal du haut de la toile et faire contrepoids à la masse horizontale des deux femmes.

Mais ce ne serait encore insuffisant si on ne se remémorait ces tissus, ces transparences des matières légères, ces rythmes d'éventail, ces bras voluptueux, ces rebonds de châles lourds, jetés sur les corps comme une nappe sur une table.

Puis ce bouquet enfin, offert en plein centre avec une générosité et une joie qui signent la liberté avec laquelle Courbet peut passer d'une composition de personnages dans un espace à une nature morte.

Quant à l'herbe, celle sur laquelle émergent les trois pieds inoubliables dans leur élégante nonchalance, il n'est point une feuille ou une fleur champêtre qui ne donne envie de l'embrasser.